Ça vous est déjà arrivé d’oser évoquer un sujet qui vous tient à cœur, qui crée chez vous de la souffrance, en sachant pertinemment qu’il jettera un froid autour de vous ?

Moi ça m’arrive tout le temps, j’ai même l’impression que c’est une constante dans ma vie.

Quand j’ai quitté le monde salarié, l’un des big boss de la structure où je travaillais m’avait écrit ceci : ‘merci d’avoir été un ‘élément perturbateur’ qui a permis de réveiller l’organisation et de créer un engagement fort.’

J’étais touchée d’être reconnue pour ce que je reconnaissais chez moi d’essentiel aussi.

J’étais touchée que cela soit vu comme un catalyseur de changement et non comme quelque chose de gênant.

Je me souviens aussi qu’en partageant ces mots avec ma famille, cela avait légèrement froissé.

La fille aînée vue par ses ‘patrons’ comme élément de perturbation venait déranger le rôle de bonne élève culturellement admis.

Comme un rappel du bulletin trimestriel ou du carnet de correspondance qui indique en rouge ‘rien à dire sur les notes mais a tendance à perturber la classe’.

Le genre de commentaire qui vient toucher la corde sensible des parents en attente de conformité. J’en ai rarement vu, qui à cette lecture, félicitaient leur progéniture.

A la réaction de mes parents, alors que je sonnais mes 37 ans, je me suis d’ailleurs aussitôt sentie ramenée petite fille.

Je me suis longtemps tue, aujourd’hui je ne peux plus m’empêcher de dire ce que je ressens au fond.

Il était temps de prendre la parole, il était temps de briser les chaînes.

Celles d’une culture qui tend à répéter, entretenir son système. Il suffit de constater à quel point l’on entend aujourd’hui cette aspiration au retour du ‘comme avant’.

Je me suis moi-même vue acquiescer à des amis l’autre jour lorsque qu’ils ont répété ‘vivement que l’on revienne à la normale’.

Je n’ai pas voulu froisser, je dois avouer que je n’avais ni l’énergie ni le courage à ce moment-là de nager à contre-courant.

Cas de conscience…

Toutes les fois où je tais ma vérité, je rate une occasion de relâcher une émotion, je rate aussi une chance de faire émerger une autre façon de penser.

Qui ne dit mot consent.

Joanna Macy dans le travail qui relie indique ceci : ‘Certaines règles tacites régissent le contenu de la gamme émotionnelle des conversations normales.’

Je crois que c’est le propre d’une culture.

Elle ajoute ‘Si nous nous éloignons trop loin de la zone de confort, par exemple en soulevant un problème considéré comme trop perturbant ou en exprimant un sentiment avec trop d’intensité, il se peut qu’on nous réponde de façon à nous faire taire.’

Cela vous rappelle quelque chose ?

Moi ça me rappelle quelqu’une en ce moment : Greta.

Le déferlement de haine à son sujet est à la hauteur du dérangement que son message a suscité.

L’intensité de son expression est telle que personnellement chaque fois elle me met des frissons.

J’observe aussi en même temps, que quand je l’écoute, une autre facette de moi est aussitôt réveillée.

Cette facette dit mi effrayée, mi agacée : ‘Mais tais toi, tu vas les énerver !’, ‘Tu ne peux pas dire ça, tu sens pas le froid que ça met ?’

Quand je l’entends j’ai tôt fait de la juger, de la détester, elle me sert le cœur, pourtant elle est bien là.

Je sais que cette facette, elle ne m’appartient pas, elle ne vient pas de moi.

Je sais qu’elle m’a été transmise par la culture du patriarcat, celle-là même qui se trouve dérangée quand une femme se permet de l’ouvrir et d’oser.

Je vois à quel point, cette facette, je l’avais intégrée.

Je vois comme elle a pu me faire taire ma propre vérité, comme je me suis auto sabotée, pour ne pas faire de vagues et restée aimée.

Quand j’en ai pris conscience, il y a quelques années, j’en ai pleuré.

Parfois, je pleure encore.

Pas simple de vivre à plusieurs à l’intérieur de soi, de faire cohabiter tous ses mini moi.

J’apprends donc à les observer sans les combattre, car elles ne feraient que résister.

J’apprends à faire de la place à celles que je choisis aujourd’hui, la soi-disant effrontée en fait partie.

Car la parole de l’effrontée soulève des émotions puissantes et comme le dit Joanna Macy, ‘pourtant son but ne consiste pas à provoquer les émotions mais plutôt à découvrir ce qui est déjà là.’

Pourquoi nier ce qui est ?

C’est simple, cela dessert un système qui n’a aucune envie de fondamentalement changer.

Et pourtant c’est urgent.

Ne doutons pas du pouvoir de ces multiples facettes en nous, même celles que l’on préfèrerait ne pas porter.

Elle nous permettent d’agir là où la vie est bloquée.

A ce propos, Starhawk, dans rêver l’obscur, nous indique ceci : ‘Chaque fois que nous éprouvons la sensation légèrement effrayante, légèrement embarrassante que produisent en nous certains mots, nous pouvons être sûr.e.s que nous sommes sur le chemin d’un profond changement dans la structure et le contenu de notre pensée.’

En suivant les pas de Joanna, Starhawk et Greta, laissons circuler en nous les émotions et la parole de notre effrontée, elles ont le pouvoir de soigner.

Nathalie Richard

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